VIVE L’HEXAGONE !
Un jour, il y a quelques années pour être plus précis, un
événement exceptionnel a bouleversé notre pays, plus que la Révolution de 1789
n’avait osé le faire. Pourtant, curieusement, malgré les conséquences qu’il a
eues, et a encore, sur la géopolitique de l’Europe et les mœurs de cette
Nation, cet événement n’a fait; à ma connaissance, l’objet d’aucune étude
approfondie de la part, ne serait-ce que d'un seul, de nos brillants intellectuels.
Aussi, il m’a semblé de mon devoir de citoyen de combler
cette pitoyable lacune, en me penchant sur la genèse de cette affaire et les
répercussions qui en ont résulté.
Ce jour là donc, un Sous-maître de recherche au CNRPS
(Centre National de Recherches Pseudo-Scientifiques), chargé depuis trente ans d’expliquer
pourquoi les droites n’étaient pas courbes et inversement, avec preuves à
l’appui, se voyait sommé par son Grand-maître de trouver quelque chose,
n’importe quoi, mais quelque chose qui pourrait justifier qu’on lui accorde
jusqu’à sa retraite les crédits à lui alloués jusqu’alors.
Les chercheurs ne sont pas à l’abri des mesquineries de ces
gestionnaires tatillons qui veulent coûte que coûte faire des économies sur le
dos des contribuables, alors que personne ne leur demande rien.
Pris à la gorge et acculé dans ses derniers retranchements,
ce qui, il faut en convenir, est une position bien inconfortable, un certain
mois de janvier, cinq ans après, alors qu’il étudiait l’itinéraire de ses prochaines
vacances d’été avec un compas, notre génial chercheur fit une découverte
fondamentale : la France s’inscrivait (non, pas à l’ANPE !) dans
un hexagone (presque)
parfait !
Aussitôt, ses crédits furent doublés, il reçut la médaille
du travail, la médaille d’or des chercheurs, la médaille des chercheurs d’or,
l’Ordre National du Mérite, la promesse de la Légion d’Honneur et une prime de
rendement. Et, évidemment, sa découverte fut diffusée en long et en large dans
les revues scientifiques spécialisées. Et évidemment, on n’en entendit plus
parler.
Quelque temps après, un journaliste, anonyme comme beaucoup
d’autres, se trouvait de bon matin, vers dix heures et demi, dans la salle
d’attente de son docteur attitré et référent afin que ce digne praticien lui
préconise de l'aspirine pour soigner son mal de tête. En effet, il venait de passer
une bonne partie de la nuit à réfléchir afin de trouver un titre accrocheur à
l’article de sa vie qu’il venait de rédiger au cours des deux jours précédents.
Soudain, alors que, sans penser à mal, il feuilletait une de
ces revues périmées que nos médecins disposent gracieusement (dans les deux
sens du terme) pour transformer leurs malades en patients, ses yeux tombèrent
(à cause de la fatigue peut-être) sur un article consacré, le mot n’est pas
trop fort, à la géniale invention de notre génial chercheur.
Son esprit (!) commença alors à s’éveiller, ce qui était un
tour de force, et à peine un quart d’heure plus tard (le médecin dormait
toujours), une idée lumineuse jaillit de son cerveau en effervescence comme une
bombe volcanique surgit du magma en fusion: il tenait son titre: « Evénement sans précédent dans
l’Hexagone : un chien mordu par
un réverbère ! ».
Désormais la France n’existerait plus, l’Hexagone (avec un
« H » majuscule, cela s’entend) (cela se voit aussi !) venait
de la remplacer !
La
masse des médias, journalistes de la presse écrite et télévisuelle, plus
littéraires que scientifiques, pour ceux qui ont fait des études, s’empara de
la formule en faisant fi de la tournure trop matheuse du chercheur, en ne
conservant que l’essentiel: la France était un hexagone, peu importait qu’elle
ne fasse que s’y inscrire géométriquement parlant.
Quelle
découverte fabuleuse ! Les peuplades les plus éminentes, sinon remuantes,
du fait de leur position au sommet des six angles : Les Ch’tis au Nord,
les Bretons à l’Ouest, les Basques au Sud-Ouest, les Catalans au Sud, les
Provençaux-savoyards au Sud-est et les Alsaciens-Lorrains à l’Est, se
trouvaient enfin réunis en ligne directe par la magie de la géométrie. Pour le
reste, la masse informe des ethnies pacifiées, elle remplit toujours
anonymement l’aire du dit hexagone. Les Auvergnats, Berrichons, Champenois, Bourguignons, les
j’en-passe-et-des-meilleurs sont noyés dans l’oubli commun, comme les moutons
de Panurge le furent dans la mer. Et, pour donner vie à l’ensemble, juste au centre,
c’est-à-dire en haut et à droite comme il se doit, un cœur, d’où partent toutes
les artères et toutes les directives de toutes natures: politiques,
économiques, intellectuelles, sociales, culturelles, etc :
L’Ile-de-France.
(Là –j’ouvre une parenthèse pour ceux qui ne l’auraient pas
remarqué– il faut signaler une incongruité majeure dans le maintien absurde du
nom « France » dans la désignation de cette région on ne sait
par quel souci déplacé de traditionalisme. Ne devrions-nous pas dire plus
simplement : l’Ile-d’Hexagone ? Et au lieu d’appeler les
élus les « franciliens », il sonnerait bien mieux à l’oreille
de les nommer les « hexagoniliens ». Il me paraît impensable
qu’aucun de nos intellectuels, ou se disant tels, n’ait lancé cette nouveauté
qui tombe tellement sous le sens).
On pourrait aussi effacer le mot vulgaire de «France»
sur tous les monuments aux Morts de toutes les communes de ce pays et le
remplacer avantageusement par la glorieuse mention : « Morts pour
l’Hexagone ».
Et puis continuer cette vague dépurative en changeant toutes
les appellations non conformes : la Banque d’Hexagone, l’Institut
d’Hexagone, le Tour de l’Hexagone, Anatole Hexagone, Hexagone Gall, etc. Et on
devrait dire : « Les accords hexagono-russes, pareil pour les flans,
le match Hexagone-Allemagne... ».
Loin de moi de vouloir atténuer l’enthousiasme général,
mais, pour que l’étude soit exhaustive, il me faut cependant signaler quelques
petits problèmes dans cette idéalisation géométrique, lesquels, sans être
négligeables n’en ont pas été pour autant négligés.
L’Hexagone annexe purement et simplement: les îles
anglo-normandes (ce n’est que justice, depuis le temps qu’elles nous
narguaient en étant plus anglo que normandes !), un bon tiers de la Suisse
(ce qui est rentable !) et un bon morceau du nord de l’Italie (tout ne
peut être parfait !). Ces annexions ont été réalisées sans qu’aucune
goutte de sang, ni d’encre, n’ait été versée. Les pays concernés, ne s’étant
aperçu de rien, n’ont eu aucune réaction, même pas la plus petite réserve
diplomatique. Mais mieux vaut ne pas ébruiter l’affaire, on ne sait jamais.
Considérez donc ce paragraphe comme n’existant pas.
Euh...
pour être complet, il y a un autre petit problème : la Corse. Elle ne
s’inscrit pas dans l’Hexagone ! D’où la naissance d’un
« nationalisme » local visant à réparer cette injustice. Les nationalistes
veulent l’indépendance de la Corse, mais ils ne supportent pas qu’on leur coupe
ainsi l’herbe sous le pied, d’un trait de compas. Na !
Inutile de parler des départements d’outremer, rien n’a
changé pour eux. Ils conservent leur statut de « lieux-de-vacances-exotiques-où-l’on-parle-français »
pour quelques hexagoniliens privilégiés.
Ainsi, la simple trouvaille d’un éminent chercheur, relayée
par un non moins éminent journaliste, a permis de donner enfin un nom décent à
notre Nation (plus de liens avec ce Clovis envasé à Soissons avec ses Francs,
d’autant plus que nos sous portent dorénavant le doux nom d’euros !). Et
de réunifier par des liens directs nos extrémités et d’anschlusser sans douleur
quelques parties d’Etats voisins.
Voilà
qui flatte notre orgueil national, surtout parce que nous sommes les seuls à
avoir fait cette découverte. Les Grands-bretons ne se sont pas encore aperçus
qu’ils habitaient un triangle (ou une tête de vieillard en bonnet de
nuit !) ! Et les Italiens n’ont toujours pas remarqué que leur pays
ressemble à une botte ! Non, nous sommes les seuls à avoir été assez
astucieux pour débarrasser notre pays d’un nom ringard, usé par les siècles,
pour le baptiser du nom d’une figure géométrique moderne!
Alors, tous en chœur, avec les bien-pensants crions
allègrement : " Vive la Raie Publique, vive l’Hexagone !".
Quant à moi, pauvre provincial, plongé dans le con-glomérat
central qui n’a jamais si bien porté son nom, j’ai beau examiner la question
sous tous les angles en me retournant de tous les côtés, je n’arrive pas à me
sentir hexagonal, mais bien français. Bien que je sois un peu rond, mais malgré
tout aussi très carré, cette géométrie appliquée à ma France m’agace profondément
et ce joug pseudo-intellectuel imposé par la masse des médias parisiens me pese
lourdement.
Et je crains qu’au rythme où vont les affaires de ce pays,
nous habitions bientôt un pays nommé « Exsangue-one ».
Ainsi on veut nous faire accroire que nos aïeux auraient
œuvré paisiblement, ou guerroyé bravement, crée tant de choses dans tous les
domaines, scientifiques, techniques, artistiques, et autres, pendant deux mille
ans, voire plus, pour aboutir à une
Nation réduite à une figure géométrique
à six angles et six côtés, un hexagone ! Pauvres mânes bafoués !
Dieu merci, tous nos aïeux sont morts –d'une façon ou d'une
autre– pour notre belle France. Alors pour leur rendre hommage, moi je
défendrai son nom parce que je l’aime... comme elle était avant d'être
débaptisée ! Qui l'aime me suive !
et VIVE LA FRANCE !!!!
(Excusez-moi, ça m'a échappé !)