TOUT VA POUR LE MIEUX DANS LE MEILLEUR DES MONDES…
« Tiens Père,
écoute, je te lis un texte que je viens de trouver sur
Internet ! C’est quelqu’un qui rapporte une conversation téléphonique
surprise entre deux personnes. »
- « Bonjour, comment tu vas ?
- Ça va, et toi ? (Marcelle)
- Moi ça va, et toi ? (Gilberte)
- Moi ça va. Mais qui c’est qu’est au
téléphone ?
- Bah, tu m’as pas reconnue, c’est
Gilberte !
- Gilberte, moi c‘est Marcelle ! Comment
vas-tu ?
- Je sais bien que tu es Marcelle, puisque c’est
moi qui t’appelle ! Moi ça va plutôt bien. Que deviens-tu ? Je
t’appelle pour avoir de tes nouvelles. Ça fait si longtemps !
- Oui, bien longtemps ! Pour moi, c’est
le train-train !
- Ton mari, ça va ?
- Si on veut, Marcel est à l’hôpital. Un
cancer. Le médecin dit qu’il n’en a plus pour très longtemps.
- Oh ben ça alors ! Et les enfants ?
- L’aîné a fait une fugue, je n’ai pas de
nouvelles depuis six mois. La petite est au lit avec les oreillons. Tu vois,
c’est le train-train ! Et toi comment ça va ?
- Ça
pourrait être mieux. Gilbert est mort il y a deux jours et je t’appelais en
attendant le corbillard.
- Oh mon Dieu ! Tu n’es pas plus avancée
que moi !
- Si, j’ai un peu plus d’avance. Surtout que
le gamin a eu un accident de vélo et il a les deux jambes dans le plâtre. La petite, elle ça va, elle
n’a qu’une bronchite.
- Et bien ma pauvre, tu n’es pas bien
vernie !
- Bof, j’ai l’habitude. Toi, tu n’es guère
mieux lotie !
- Ah ça ! Figure-toi que tu as eu de la
chance de me trouver, car là j’attends l’huissier qui doit me déménager tout et
le téléphone aurait déjà dû être coupé, mais ils ont sans doute oublié.
- Mais où vas-tu habiter ?
- J’ai trouvé un travail où je suis logée,
mais évidemment les enfants je ne peux pas les garder.
- C’est toujours ça, au moins, tu ne seras pas
à la rue !
- Ça, ça ne risque pas ! Je travaille
comme bonne à tout faire chez des
rupins et je dois être à leur disposition 24 heures sur 24, et ils ne s’en
privent pas. Alors pour ce qui est de sortir…m
- T’es bien payée au moins ?
- Logée, nourrie, blanchie –c’est moi qui lave- et 300 euros par
mois. Ça pourrait être pire !m
- C’est sur qu’il y a toujours pire, mais
quand même, il y en a qui profitent de nos malheurs. Et les enfants.
- La dass va s’en occuper, moi je ne peux
plus. C’est la vie ! Et toi ?
- Moi, je n’ai plus de travail depuis six
mois. L’usine est partie en Chine, alors tout le personnel a été viré. Et la
sédic m’a rayée des chômeurs, si bien que je touche plus rien. Tu vois, pour
moi aussi c’est le train-train !
- Comment tu fais alors ?
- Je fais des petits boulots par-ci par-là en
attendant mieux. Si c’est possible…
- Bon, Gilberte, je dois te quitter car
l’huissier est arrivé. A plus tard.
- C’est, à plus tard ! Beaucoup plus
tard. Porte-toi bien Marcelle !
- Porte-toi bien Gilberte ! ».
« Alors, Père, qu’en pensez-vous ?
- Qui est l’énergumène inconscient qui a commis de telles sornettes ?
- C’est un humoriste d’après la signature !
- Drôle d’humour ! Cela ressemble plus à de
l’humeur ! On a tort de laisser paraître de tels propos sur Internet.
Enfin, c’est de la fiction ! Mon fils, quitte cette farce et va te
préparer, j’ai retenu une table chez Ledoyen, je dois te présenter à quelques
personnes influentes qui me doivent beaucoup.
- Encore chez Ledoyen ! On ne pourrait pas un
peu changer ? Lassere par exemple.
- Là tu exagères ! Son Dom Perignon ne me
convient pas. Et puis chez Ledoyen, c’est pratique car j’y ai une table à
l’année. Mais cela ne m’empêche pas de t’emmener à la Tour d’Argent et autres
maisons étoilées au moins quatre fois par semaine !
- Oui, enfin… Mais croyez-vous vraiment que cela
puisse exister de telles situations ? Nous aussi, nous avons des personnes
à notre service en permanence. Combien les payez-vous ?
- Tu crois réellement que je m’occupe de telles
contingences ? Je dirige je ne sais même plus combien de sociétés, je fais
partie du conseil d’administration d’à peu près de toutes les entreprises du
CAC 40, et tu me demandes combien nous payons une domestique ! Demande à
ta mère, ou plutôt à l’intendant, nous n’allons tout de même pas nous préoccuper
de la domesticité !
- Mais vous devez avoir cependant une idée de leurs
gages !
- Je ne sais pas moi. Peut-être deux ou trois mille
euros, voire quatre…Mais parlons plutôt de choses sérieuses. Je t’ai fait
acheter une montre dont j’avais remarqué la publicité sur le Figaro. Tiens la
voici !
- Oh, elle est pas mal ! Combien elle a
coûté ?
- Tu t’intéresses aux prix des choses
maintenant ! Rassure-toi, je ne l’ai payée que quinze mille euros, ce
n’est pas cela qui va nous ruiner !
- Nous sommes riches n’est-ce pas ?
- Riches ? Etre riche cela ne signifie rien.
L’argent ne compte pas ! Le seul avantage de l’argent, c’est qu’il donne
le pouvoir. Le pouvoir, voilà l’important !
- Le pouvoir ? Je croyais que c’était les
politiques qui le détenaient !
- Où vas-tu chercher de telles inepties ? Les
politiques sont notre façade, ce sont des marionnettes dont nous tirons les
ficelles. C’est une position bien plus confortable !
- Pouvez-vous m’expliquer ?
- Les politiques sont des pantins dont le seul but
est d’atteindre les ors de la République. Pour y arriver, ils sont prêts à
toutes les combines, toutes les compromissions. Et il en faut pour se faire
élire et encore plus pour conserver le niveau acquis. Parce que ces gens là
sont à la merci des électeurs, ils doivent sans cesse s’en faire bien voir,
quitte à aller faire les marchés paysans la veille de chaque scrutin. Mais, en plus, et c’est le plus
difficile, ils doivent complaire aux caciques de leur parti, car les bonnes
places sont rares !
- Cela ressemble à de la prostitution ! Mais
comment intervenez-vous ?
- C’est très simple ! Les politiques ont besoin
de beaucoup d’argent pour élargir leur influence, pour faire campagne et pour
paraître.
- La République les paie pourtant !
- Certes, et bien trop cher. Mais comme ce sont eux
qui votent leurs rétributions, ils ne se gênent pas !
- Comme vous en sorte !
- …Peut-être, mais moi ce n’est pas pareil, ce n’est
pas l’argent de l’Etat !
- C’est vrai, ce sont les entreprises qui vous
versent de l’argent. Mais continuez votre explication, je crois que je commence
à comprendre !
- Tu vois, c’est simple ! Les politiques
viennent nous trouver et nous les accueillons volontiers. Nous les finançons
grassement et en échange, nous leur demandons quelques petits services ou nous
les aiguillons sur les petites réformes qui pourraient nous être utiles. En
fait c’est nous qui orientons les décisions politiques.
- Ils pourraient refuser toutes ces petites choses
après avoir reçu les fonds !
- Nous sommes des hommes d’affaires, pas des
philanthropes ! Nous les tenons par les c…….s et ils ne peuvent rien contre nous !
- Et vous les
tenez tous de cette manière ?
- Bien sûr que non. Mais personnellement, je n’en
connais pas qui échappent au système. Reconnais que notre position est bien
plus stable, plus rémunératrice et… plus confortable que celle de ces gens !
- J’ai bien compris la leçon Père ! Mais pour en
revenir à ces gens qui ne gagnent que trois mille euros par mois, je me doute
qu’ils ne doivent pas avoir de grands pouvoirs, ne serait-ce que celui
d’achat ! Comment font-ils déjà pour vivre avec aussi peu ! Et
comment en sont-ils arrivés à cette situation ?
- Décidemment, tu divagues. Qu’est-ce qui te prends
de t’intéresser aux petites gens. Des gens de rien ! Enfin, pour ta
gouverne, sache que ces gens là n’ont pas voulu travailler pendant leur
scolarité et qu’ils ont continué après. Nous, ceux qu’ils nomment les
« nantis » , nous avons travaillé dur pour arriver au sommet de la
hiérarchie sociale.
- Vous voulez dire que ceux qui ne sont pas riches,
c’est qu’ils l’ont bien voulu ?
- Exactement. Tous les hommes sont égaux, c’est dans
la Constitution !
- Et on ne peut rien faire pour eux ?
- Et puis quoi encore ! Déjà que l’Etat nous
oblige, nous les chefs d’entreprises à payer un SMIC à nos employés, alors que
la plupart d’entre eux, sont loin de le mériter.
- C’est quoi un SMIC ?
- Un salaire minimum, même pour le plus mauvais des
ouvriers !
- C’est combien le SMIC ?
- Je n’en sais rien. Quatre ou cinq mille euros, où
quelque chose d’approchant. Ce sont des détails qui ne me concernent pas. Tout
ce que je sais, c’est que ces tarifs sont bien trop élevés pour une entreprise.
Les frais salariaux grèvent beaucoup trop les coûts de production et…
- Et vous, combien gagnez vous par mois ?
- Je n’en sais rien, c’est encore un détail qui ne
m’intéresse pas. Cinq ou six millions, enfin dans cet ordre là.
- Il y a là une belle différence, ne trouvez-vous
pas ? Je ne comprends pas pourquoi tant de gens préfèrent être pauvres
plutôt que travailler davantage. Moi, dès que je débuterai dans une de vos
entreprises, je vous promets de travailler dur pour tenir mon rang, je ne voudrai
à aucun cas percevoir un SMIC !
- Tu as raison mon fils, mais d’abord, ne te
préoccupe plus des gens du bas, cela te porterait préjudice auprès de nos amis…
enfin… de nos alliés. Et dépêche-toi, je voudrais en terminer assez vite de ce
repas, il faut que j’aille choisir la couleur de ma nouvelle Rolls. Tiens, au
fait, c’est bientôt ton anniversaire, tu ne voudrais pas changer ta Ferrarri,
elle doit commencer à être vieille !
- Oh, elle n’a que six mois…
- C’est ce que je disais, elle est vieille ! Je
t’en commande une nouvelle en même temps que la Rolls, cela me fera gagner du
temps. Tu es prêt ?
- Oui Père. Merci pour la voiture !
- Bah, c’est une babiole. Descendons. ».
Au
moment où ils passent dans le corridor d’entrée, une femme agenouillée lave. Le
majordome s’aperçoit de cette incongruité -les maîtres ne doivent pas apercevoir
les personnels des basses besognes- et
chasse la femme de ménage… sans ménagements.
« Père, vous avez entendu comment
notre majordome a appelé la femme de ménage ?
- Non, quelle femme de ménage ?
- Celle qui nettoyait le sol. Il l’a appelée
Marcelle !
- Oui et alors ?
- Oh rien ! Tout va bien ! ».